La plus petite des quinze républiques fédérées de l'U.R.S.S., l'Arménie, ne s'étend que sur 29 800 kilomètres carrés. Kars et Ardahan ont été rendues à la Turquie kémaliste. Le Nakhitchevan et le Karabagh sont passés sous le contrôle de l'Azerbaïdjan soviétique, et la Géorgie a repris les provinces d'Akhaltskha et Alkhalkalak.
L'histoire de l'Arménie soviétique est, dès l'origine, marquée par la répression contre le nationalisme. Moins de deux mois après sa soviétisation, l'Arménie se soulève et rétablit un gouvernement dachnak (8 mars-2 avr. 1921). Mais l'Armée rouge revient à Erevan et, tout en combattant, les Dachnaks doivent se réfugier en Perse. Dépecée par tous ses voisins, l'Arménie soviétique doit réintégrer la fédération soviétique de Transcaucasie.
Ce n'est qu'en 1936 qu'elle accède au rang de république fédérée. Avec les débuts de la guerre froide en 1947, l'U.R.S.S. relance la question arménienne. Alors que la Grèce, en proie à la guerre civile, et la Turquie viennent d'être les premiers bénéficiaires de la doctrine Truman (11 mars 1947) et du plan Marshall, l'U.R.S.S. demande officiellement, le 24 octobre 1947, à la tribune de l'O.N.U., le retour de Kars et Ardahan.
En même temps, Staline organise le rapatriement vers l'Arménie soviétique des Arméniens de la diaspora. Même s'ils ne sont pas tous communistes, l'Arménie soviétique reste à leurs yeux la dernière parcelle de «mère patrie» où l'arménité continue de subsister. En 1946 et 1947, ils sont 150 000 à répondre à cet appel. Mais, dès 1949, le flot se tarit, les premiers arrivants déçus dissuadant le reste de leurs familles de les rejoindre. Il faudra attendre le XXe congrès du Parti communiste de l'Union soviétique en 1956 pour que ces rapatriés soient autorisés à repartir vers les lieux de leur diaspora d'origine.
Après la mort de Staline, en 1953, l'économie de l'Arménie soviétique commence à se développer. La rentabilité des vergers favorisés par l'excellent ensoleillement des versants montagneux s'améliore et la production de blé, de betterave, de tabac et de coton croît sensiblement.
Mais c'est l'industrie qui par sa croissance accélérée depuis le début des années 1960 donne à l'Arménie son visage moderne, au point qu'elle souffre gravement de la pollution. L'effort principal a d'abord porté sur l'aménagement hydroélectrique et l'extraction de matières premières (cuivre, aluminium, plomb, marbre). Depuis le milieu des années 1970, la chimie et le nucléaire ont pris la relève, à tel point que, parmi les sept villes les plus polluées de l'U.R.S.S., cinq sont arméniennes: Erevan la capitale, Alaverdi, Kirovakan, Khapan et Katcharan. Erevan est noyée dans un brouillard polluant 165 jours par an et les incidents répétés de la centrale nucléaire de Metzamor n'ont qu'aggravé la situation. En quinze ans, le nombre d'enfants handicapés a quintuplé et les accouchements avant terme se sont multipliés par sept. Par ailleurs, le mouvement nationaliste ne s'est jamais résigné. Au contraire, il resurgit périodiquement avec vigueur. Les demandes d'émigration en sont le premier signe.
Entre 1956 et 1972, 28 000 Arméniens ont quitté l'U.R.S.S., 12 000 pour les seules années 1979-1980 et 5 000 en 1987. Après les Juifs, c'est le plus important contingent national à fuir l'U.R.S.S., essentiellement pour les États-Unis. Le manque de liberté, le refus de prendre en compte les revendications nationales, les difficultés économiques et, depuis le début des années 1980, la pollution n'ont fait qu'accroître ce mouvement migratoire, soit à l'extérieur des frontières de l'U.R.S.S., soit vers d'autres républiques soviétiques.
Le 24 avril 1965, lors des célébrations du cinquantième anniversaire du génocide, des dizaines de milliers de personnes défilèrent dans les rues d'Erevan, débordant le service d'ordre et revendiquant les territoires arméniens occupés par la Turquie. On frisa l'incident diplomatique turco-soviétique, et Moscou dut procéder à des remaniements au sein de la direction de la république d'Arménie. Deux ans plus tard, Erevan érigeait son mémorial en souvenir du génocide, monument devenu le point de ralliement de tous les rassemblements nationalistes.
En 1966 et pour la première fois en U.R.S.S. depuis la liquidation de l'opposition de gauche, un parti clandestin est fondé: le Parti de l'unité nationale. La plupart de ses militants ont été arrêtés, certains sont morts au goulag et trois ont été fusillés à Moscou en 1979. Les survivants, qui ont bénéficié de la libéralisation du régime depuis 1986, ont fondé en 1987 l'Union pour l'autodétermination nationale (U.A.N.). Le comité central du P.C. d'Arménie a aussi repris à son compte certaines revendications irrédentistes. Nombre de publications officielles traitent de la responsabilité des régimes ottoman, jeune-turc et même kémaliste dans le génocide physique et culturel des Arméniens d'Anatolie. Erevan a prêté une oreille largement attentive au réveil de la diaspora.
Les 17 et 18 octobre 1987, 100 000 personnes défilent spontanément dans les rues de la capitale, lutte contre la pollution et combat pour les droits nationaux étant étroitement mêlés.
Le 11 février 1988, c'est le Haut-Karabagh qui entre en ébullition. Région autonome rattachée arbitrairement à l'Azerbaïdjan lors de la soviétisation du Caucase en 1921-1923, le Haut-Karabagh est peuplé de 160 000 habitants dont 80 p. 100 d'Arméniens. Ce jour-là, 70 000 personnes manifestent à Stepanakert, capitale de la région. Le lendemain, le soviet du Haut-Karabagh demande officiellement son rattachement à l'Arménie, puis le P.C. de la région en fait de même le 16 mars. Dans la semaine du 15 au 22 février 1988, les manifestations organisées par l'U.A.N. se répètent journellement à Erevan. Enfin, les 25 et 26 février, près d'un million d'Arméniens, sur une population arménienne de 3,1 millions (sur 3 350 000 habitants dans la république), descendent et investissent les rues d'Erevan. La réaction des Azéris voisins sera brutale.
Dans la nuit du 28 février, des milliers d'Azéris turcophones manifestent à Sumgaït contre l'irrédentisme arménien. Bilan officiel: 32 Arméniens tués; bilan officieux: 546 morts et des milliers de blessés. Les rares témoins parlent de véritable pogrom, réplique miniature des événements de 1915. Moscou est obligée de lâcher du lest et Mikhaïl Gorbatchev annonce à la fin de mars 1988 un train de réformes socio-économico-culturelles pour le Haut-Karabagh. En revanche, le rattachement est exclu et des têtes tombent au sein des directions arméniennes et azerbaïdjanaises, le 21 mai 1988. Mais l'agitation reprend peu après. Le 15 juin, le soviet suprême arménien vote le rattachement du Haut-Karabagh à l'Arménie. Pour soutenir cette revendication, la population d'Erevan fait grève du 2 au 15 juillet, ainsi qu'à Stepanakert du 23 mai au 25 août. En septembre, les manifestations de masse reprennent dans la capitale arménienne ainsi que les troubles interethniques. Le 23 novembre 1988, 500 000 Azéris défilent dans Bakou contre les revendications arméniennes et organisent un pogrom à Kirovabad.
Le 7 décembre 1988, un violent tremblement de terre ravage le nord de l'Arménie, détruisant totalement la ville de Spitak et partiellement Leninakan (Gumri) et Kirovakan. Le bilan fait état de 30 000 à 55 000 morts. Officieusement, il y aurait 100 000 victimes. Les autorités soviétiques profitent alors de ce «génocide naturel» pour contrer le mouvement nationaliste arménien qui s'organise autour du comité Karabagh. Le couvre-feu est imposé à Erevan et dans la zone du séisme. Les onze membres du comité Karabagh sont arrêtés et ne sont libérés que le 31 mai 1989. Le 12 janvier 1989, Moscou met en place une commission spéciale chargée d'administrer directement le Karabagh et, enfin, les élections «sous influence» du congrès des députés du peuple sont organisées pour le 26 mars. Mais, dans le Caucase, les mouvements nationalistes accélèrent la désagrégation de l'empire et la fin du gorbatchévisme. L'agitation reprend en Arménie contre les communistes et les Azéris. Les oppositionnels libérés obtiennent la légalisation du Mouvement national arménien (M.N.A.) et la dissolution de la commission spéciale sur le Karabagh. Le 30 novembre 1989, la République d'Arménie unifiée (Arménie et Karabagh) est proclamée unilatéralement. La guerre larvée arméno-azérie commence en janvier 1990. Jusqu'en décembre 1991, elle fera plus de 4 000 morts. Par ailleurs, en 1988-1989, 215 000 Arméniens ont fui l'Azerbaïdjan, croisant 80 000 Azéris quittant l'Arménie. Petit à petit, l'opposition nationaliste s'empare du pouvoir. En février 1990, un membre du M.N.A. devient vice-président du Parlement, et son mouvement gagne d'une courte tête (40 p. 100 d'abstention) les législatives du 20 mai 1990. Levon Ter-Petrossian, brillant nationaliste pragmatique, dirigeant du M.N.A., devient président du Parlement en août. Le poste de Premier ministre revient également à un membre du M.N.A., et le nouveau pouvoir proclame la souveraineté de l'Arménie le 23 août 1990. Tout naturelle ment, il refuse de participer au référendum de Gorbatchev sur l'avenir de l'Union en mars 1991.
Alors que l'Armée rouge et les milices azéries attaquent le Karabagh et le nord de l'Arménie, le président soviétique reçoit ses homologues arménien et azéri le 3 mai. Après l'échec du putsch du 19 août 1991 à Moscou, l'Armée rouge quitte le Caucase, laissant les combattants face à face. Erevan proclame son indépendance le 23 septembre 1991, rapidement reconnue par la C.E.E, les États-Unis et la Turquie. Le 16 octobre, Levon Ter-Petrossian devient le premier président de la République élu au suffrage universel libre.
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